La réforme du droit des entreprises par la loi du 15 avril 2018 : attention, changements !

Maître Laurence Adam, avocate au barreau de Liège

De plus en plus de personnes actives sur le plan économique sont des entreprises et se voient dès lors soumises aux dispositions particulières aux entreprises du Code de droit économique, du Code judiciaire et du Code civil mais également aux règles BCE et comptables ou encore au droit de l’insolvabilité.

Plusieurs dispositions légales fondamentales sont adaptées à la nouvelle notion d’entreprise.

Vous pourriez bien être concernés.

Le droit des entreprises, mais encore ?

Toute entreprise doit connaître le Code de droit économique (CDE).

Le CDE, compilation de réglementations, régit en effet une partie importante de son activité, pour ne pas dire toute son activité, en ce que celle-ci intéresse les tiers (par exemple : protection de la concurrence, pratiques du marché et protection du consommateur, qualité des produits et des services, droit de l’économie électronique, insolvabilité). Le CDE détaille également les sanctions des infractions aux règles qu’il édicte.

C’est logiquement dans le CDE que l’on trouve la définition de l’entreprise (étant précisé que cette notion reçoit une définition différente dans le cadre de certains livres du CDE, notamment en raison de prescriptions de droit européen). Sauf disposition contraire dès lors, on entend par « entreprise » (article I.1 CDE) :

                « Chacune des organisations suivantes :


                (a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant ;


                (b) toute personne morale ;
 

               (c) toute autre organisation sans personnalité juridique.


Nonobstant ce qui précède, ne sont pas des entreprises, sauf s'il en est disposé autrement dans les livres ci-dessous ou d'autres dispositions légales prévoyant une telle application :

 


(a) toute organisation sans personnalité juridique qui ne poursuit pas de but de distribution et qui ne procède effectivement pas à une distribution à ses membres ou à des personnes qui exercent une influence décisive sur la politique de l'organisation ;

 

(b) toute personne morale de droit public qui ne propose pas de biens ou services sur un marché ;

 

(c) l'Etat fédéral, les régions, les communautés, les provinces, les zones de secours, les prézones, l'Agglomération bruxelloise, les communes, les zones pluricommunales, les organes territoriaux intracommunaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d'action sociale ».

A partir du 1er novembre prochain, seront donc, par exemple, des entreprises : les titulaires de professions libérales, les administrateurs de société, les associations sans but lucratif, ou encore les fondations.

Les personnes morales seront considérées comme des entreprises indépendamment de l’exercice effectif d’une activité économique. Leur activité statutaire ou de fait est sans pertinence. Cette définition est d’autant plus importante qu’à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi du 15 avril 2018, et dans toutes les lois, la notion de « commerçant » au sens du Code de commerce devra être comprise comme « entreprise » au sens du CDE.

Quelques conséquences de la qualité d’entreprise dans le cadre d’une procédure en justice.

Dans le cadre d’une procédure judiciaire, les entreprises peuvent se voir opposer des moyens de preuve plus étendus que ceux que peut se voir opposer une personne qui n’est pas une entreprise (a). Elles sont par ailleurs justiciables du Tribunal dit « de l’entreprise » (b).

a. Règles de preuve

La preuve entre commerçants, qui figurait dans le Code de commerce, est adaptée et intégrée dans le Code civil (article 1348bis).

Ainsi, une association sans but lucratif, qui est une entreprise (en vertu du point (b) de la définition reproduite ci-dessus), pourra se voir opposer, au titre de modes de preuve d’un droit revendiqué par son adversaire, et sauf exceptions , les éléments suivants :

  • sa comptabilité,
     
  • une facture, qu’elle a acceptée, relative à un contrat d’achat-vente, de transport ou encore de services divers (attention qu’à défaut d’avoir contesté une facture, l’entreprise est réputée l’avoir acceptée),
     
  • un témoignage ou une présomption.

En d’autres termes et en bref, il ne sera donc plus exigé d’écrit signé par ladite association. Il en va de même de la personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant (point (a) de la définition d’ « entreprise ») pour autant toutefois que la preuve ne porte pas sur un acte « manifestement étranger » à l’activité qu’elle exerce.

b. Tribunal compétent

L’association sans but lucratif, ou le titulaire de profession libérale, par exemple, sera assigné(e) devant le Tribunal de l’entreprise sauf si la contestation a trait à un acte manifestement étranger à son activité (article 573, 1° du Code judiciaire). En cas de doute, le Tribunal de l’entreprise sera donc compétent pour connaître dudit litige.  

Cette juridiction sera composée d’un Juge de l’entreprise (magistrat professionnel) et de Juges consulaires qui pourront être des représentants du secteur associatif ou de l’Ordre dont dépend le titulaire de profession libérale. Des avocats et notaires pourraient être juges consulaires au Tribunal de l’entreprise.

Qu’en est-il de la Banque Carrefour des Entreprises (BCE) ?

Les informations relatives aux entreprises telles que nouvellement définies sont inscrites dans la BCE (on parle d’ « entité enregistrée » article III.16 CDE ; le CDE prévoit des exceptions).

Les entreprises de droit belge visées aux points (b) et (c) de la définition reproduite ci-dessus doivent par ailleurs veiller à s’inscrire au guichet d’entreprise avant de démarrer leurs activités (il est ici question d’ « entreprise soumise à inscription », voir article III.49 CDE). Cette obligation d’inscription active pèse également sur la personne physique qui possède un siège, une succursale ou une unité d’établissement en Belgique. Des exceptions sont prévues. A titre exemplatif, les mandataires d’administration (gérant, représentant fixe d’un administrateur-personne morale, administrateur délégué à la gestion journalière) ne sont pas soumis à cette obligation.

Même une organisation qui ne dispose pas de la personnalité juridique est tenue de s’inscrire à la BCE si elle se livre à des opérations juridiques et qu’elle convient de droits et obligations avec des tiers.

Sans oublier les obligations comptables

La qualité d’entreprise emporte, en principe, l’obligation comptable, laquelle couvre « l’ensemble de leurs opérations, de leurs avoirs et droits de toute nature, de leurs créances, de leurs dettes, de leurs obligations et de leurs engagements de toute nature » (article III.83 CDE).

Cette obligation pèse dès lors sur les personnes physiques, associations, fondations, organisations sans personnalité juridique (en ce compris les associations de fait poursuivant un but de distribution de bénéfices à leurs membres).

Certaines entreprises sont exclues (par exemple : les administrateurs de sociétés) et l’obligation comptable reçoit un contenu variable en fonction de l’entreprise qui y est soumise.

Bon à savoir

  • La loi commentée dans la présente brève constitue la deuxième réforme du droit des entreprises, après celle du droit de l’insolvabilité. La troisième réforme, qui est en cours, concerne le droit des sociétés et associations.
     
  • Des modifications sont toutefois d’ores et déjà apportées au Code des sociétés pour le purger des termes « civil » et « commercial ». La distinction n’a plus lieu d’être comme les suivantes : « activité commerciale / activité civile » et « entreprise commerciale / entreprise civile ».  Par ailleurs, la société dite « de droit commun » devient la « société simple ». La société simple, pourtant dénuée de personnalité juridique, constitue une entreprise.
     
  • Les dispositions qui figuraient dans le Code de commerce relatives aux effets de commerce et aux contrats de transport sont transférées dans le Code de droit économique. Les dispositions relatives à la définition des actes de commerce ou encore à la preuve des engagements commerciaux étant abrogées, l’intitulé du Code est remplacé par le suivant : « Code des privilèges maritimes déterminés et des dispositions diverses ».
     
  • La loi contient des dispositions transitoires quant aux règles BCE et comptables.
     
  • Certaines dispositions de la loi, dont il est prévu qu’elle entre en vigueur « au plus tard » le 1er novembre 2018, ont une date d’entrée en vigueur distincte.

La présente brève vous a donné un aperçu schématique et exemplatif de la deuxième réforme du droit des entreprises. Elle ne prétend ement à l’exhaustivité. Un seul conseil dès lors : celui précisément de vous faire conseiller. Une fois la qualité d’entreprise retenue dans votre chef, un audit de l’ensemble de vos activités est recommandé, afin de s’assurer de leur conformité avec la législation économique qui s’impose à vous.