Action en établissement judiciaire de la paternité : prise en compte de l’intérêt de l’enfant en cas d’opposition du père biologique

Général

Maître Julie Laruelle, avocate au barreau de Liège

 

Lorsque la filiation paternelle n’est pas établie par l’effet de la loi ou par une reconnaissance volontaire, il est possible de l’établir par décision judiciaire, au moyen d’une action en recherche/établissement judiciaire de la paternité (art. 322 du Code civil). Les conditions de cette action sont définies à l’article 332quinquies du Code civil. L’action est, en principe, déclarée fondée si la filiation biologique est prouvée (la plupart du temps au moyen d’un test A.D.N.).

L’action en recherche de paternité peut être introduite par l’enfant (représenté s’il est mineur), par la mère ou par le père biologique qui veut voir établie sa filiation. Si l’enfant majeur (ou mineur émancipé) s’oppose à la demande, l’action ne sera pas recevable (art. 332quinquies, § 1, C. civ.). Si l’enfant mineur de plus de 12 ans, la mère ou le ministère public s’opposent à la demande, le tribunal peut rejeter l’action si l’établissement de la filiation est contraire à l’intérêt de l’enfant, alors même qu’elle serait prouvée sur le plan biologique (art. 332quinquies, § 2, C. civ.). Si l’homme dont la paternité est recherchée n’est pas le père biologique de l’enfant, la demande est rejetée en toute hypothèse (art. 332quinquies, § 3, C. civ.).

A suivre strictement la loi, le père biologique défendeur à l’action en recherche de paternité, qui voudrait s’opposer à la demande, n’a donc pas la possibilité d’invoquer l’intérêt de l’enfant ou le sien pour que celle-ci soit rejetée. Si sa paternité biologique est établie, sa filiation le sera aussi. Le tribunal ne pourrait donc pas tenir compte de l’intérêt de l’enfant dans ce cas ?

La Cour constitutionnelle répond par la négative à cette question dans un arrêt du 28 novembre 2019 (n° 190/2019) : l’article 332quinquies doit être interprété en ce sens qu’il permet au juge de prendre en considération l’intérêt de l’enfant, même quand l’opposition n’émane pas de la mère, de l’enfant de plus de 12 ans ou du ministère public (autrement dit, lorsqu’elle émane du père biologique). L’on ne peut en effet présumer de manière irréfragable qu’il est toujours dans l’intérêt de l’enfant de voir sa double filiation établie, ni que l’intérêt de la mère et celui de l’enfant se confondent en toutes circonstances.

Suivant cet arrêt, le père biologique qui voudrait s’opposer à l’action en recherche de paternité dirigée contre lui peut donc tenter de démontrer que l’établissement de la filiation serait, dans les circonstances de l’espèce, contraire à l’intérêt de l’enfant. L’arrêt vise l’hypothèse d’une action en recherche de paternité diligentée par la mère et non par l’enfant lui-même (si l’enfant est demandeur, l’on peut supposer que l’établissement de la paternité sert ses intérêts).

C’est bien l’intérêt de l’enfant qui doit être pris en considération par le juge, suivant l’arrêt de la Cour constitutionnelle, et non les intérêts du père biologique qui s’oppose à la demande. Cette absence de prise en compte des intérêts du père biologique pourrait être jugée discriminatoire par la Cour constitutionnelle lorsque la demande est introduite par une mère qui poursuit un intérêt distinct de celui de son enfant. Une nouvelle question préjudicielle pourrait être posée à la Cour sur ce point.

Le droit de la filiation a été remanié de façon importante par la Cour constitutionnelle au fil de ses arrêts constatant des discriminations dans les dispositions du Code civil. La plupart de ces discriminations n’ont pas encore été corrigées par le législateur. Il est donc devenu impossible de pratiquer le droit de la filiation sans examiner en parallèle la jurisprudence (constitutionnelle et de fond). Dans cette matière technique, n’hésitez pas à prendre conseil auprès d’un avocat.